Histoire(s) et Art(s)
De la Russie des tsars à la propagande stalinienne
UN SIECLE, DES ARTS ET DES REGIMES EN RUSSIE
par M. AIT SAID
I. RUSSIE ETERNELLE, URSS NOUVELLE
a. La Russie multiséculaire
Au début du XXe siècle, la Russie est toujours celle des tsars. C’est un empire vaste où les traditions sont fortes. L’aristocratie russe s’en fait le gardien. Le poids de la religion orthodoxe, dont la Russie d’alors était la terre d’élection, importe dans ce contexte. Ce courant du christianisme utilise l’art dans le développement de son culte. L’image, sous la forme des icônes, doit propager le message du Christ. Les églises russes en sont décorées. Les icônes symbolisent cet art au service d’une tradition multiséculaire. A l’image de ses icônes, la Russie semble, politiquement, économiquement et socialement, figée à l’époque des œuvres d’Andreï Roublev, moine peintre du XVe siècle.
Le Christ en Majesté d’Andreï Roublev
En 1966, le cinéaste Andreï Tarkovski a consacré un film au moine peintre . Dans cet extrait vidéo, il livre, avec en accompagnement des chants religieux, les impressions de solennité que pouvaient dégager ces oeuvres picturales dans les églises russes.
La religion imprègne également l’architecture avec des lieux de culte monumentaux. L’aristocratie russe, qui aimait depuis le XIXe siècle passait les hivers à l’étranger et en particulier sur la Côte d’Azur, tentait de reproduire ce cadre dans ces lieux de villégiature. L’Eglise russe de Nice est un exemple remarquable de reproduction de ce modèle à l'extérieur des frontières impériales.
Eglise russe de Nice édifiée en 1903
b. Vers l’éclatement de la Russie éternelle
Ces contacts avec l’étranger n’ont pas seulement concernés les aristocrates en villégiature. Les artistes se sont également mis en relation avec l’Occident européen. Le compositeur Igor Stravinsky y a travaillé et s’ y est produit. Vassili Kandinsky, dans le domaine la peinture, participe à un courant qui s’évertue à déconstruire les arts, à redéfinir ses codes. Kandinsky est l’un des pionniers de l’art abstrait.
Vassily Kandinsky,Composition VIII, 1923
Mais, en Russie, c’est sur le plan politique que les bouleversements furent révolutionnaires. La Première Guerre Mondiale eut raison de la Russie des tsars. Nicolas II abdique et au mois d’octobre 1917, la révolution bolchevique porte au pouvoir Lénine et les siens. L’URSS naît quatre ans après une guerre civile.
II. L’URSS, L’ERE DES RUPTURES
a.Les arts dans le nouveau système
Avec l’installation au pouvoir du parti communiste, les arts doivent progressivement se mettre au service du système. En outre, Kandinsky et l’art abstrait étaient jugés indésirables, allant à l’encontre des idéaux socialistes. Mais cette intransigeance n'a pas toujours été. Le régime a, pendant un temps, encouragé les artistes avant gardistes. Le système soviétique en devenir a, notamment, accordé une grande importance au 7e art. C’est même dans la Russie des années 20 que fut créer la première école de cinéma au monde. Kandinsky ne retourna plus en URSS. Comme lui de nombreux artistes russes, comme Chagall, développèrent leur art à l’étranger. Ceux qui décidèrent de rester travailler, le firent dans un cadre institutionnel, imposé. Cette tendance atteint son paroxysme avec l’installation de Joseph Staline à la tête de l’URSS.
b. Le réalisme socialiste
Avec l’installation progressive de Joseph Staline au pouvoir, les arts durent en Union soviétique se mettre au diapason du totalitarisme. La littérature, la peinture, l’architecture et le cinéma ont été mis à contribution dans un courant officiel : le réalisme socialiste.
Il s’agit de glorifier la figure de Staline dans le cadre du culte de la personnalité. Sur cette peinture, Staline apparaît comme réconfortant, simple, à l'écoute des ouvriers Ce sont là les attributs du Petit Père du Peuple, surnom dont l'affuble la propagande officielle. En outre, le cadre de cette mise en scène n'est pas fortuit. Il s'agit d'un chantier monumental, celui d'un barrage. Par là, l'affiche tient à rappeler à la population que le chef de l'Etat veille à l'aménagement du vaste territoire russe et à la mise en valeur de ses ressources, l'eau en l’occurrence ici. C'est aussi une énième occasion de marteler le tournant pris par l'URSS dans la voie de la modernité.
Si ce type d'oeuvre était destiné à la population soviétique, il faut également montrer la toute puissance du système socialiste à l'extérieur des frontières. Les prolétaires, ouvriers et paysans, doivent être mis à l’honneur. Le plus célèbre exemple sculptural et architectural de cette ambition est L’Ouvrier et la Kolkhozienne. Elle fut l’œuvre de l’artiste Vera Mukhina (1889- 1953). Elle fut présentée à l’exposition universelle de Paris en 1937. L’objectif de la commande émanant du pouvoir soviétique est de magnifier deux jeunes prolétaires symbolisant la fraîcheur et l’élan d’un nouvel Etat, d’une nouvelle société. D’autant plus que les personnages ont à peu près l’âge de la révolution d’octobre : 20 ans. L'oeuvre est donc également celle d'un anniversaire, celui de la révolution. La vitalité des personnages est renforcée par l’utilisation d’un acier chromé inoxydable donnant un effet miroir, conférant brillance et principe de durabilité de l'idéal socialiste.
L’Ouvrier et la Kolkhozienne, pavillon soviétique de l’Exposition Universelle de 1937
L’Exposition Universelle de 1937 est aussi l’occasion pour Staline de se livrer à une guerre idéologique contre l’ennemi nazi. Le pavillon du IIIe Reich et celui de l’Union Soviétique se font face sur l'esplanade du Trocadéro.
Le court film suivant montre ces deux monuments lors de cet événement international :
le Constructivisme.
EL Lissitzky ou le Constructivisme: « Abattons les Blancs avec le coin rouge »
Le constructivisme

A la base du constructivisme se trouve l'idée de « construction » des cubistes. Pour les cubistes, les artistes doivent se détacher de l'imitation : aussi Braque ou Picasso, dans les années 1910 à Paris, ne parlent-ils plus d'images ou de représentations mais de constructions. La forme est détruite puis (re)construite géométriquement à travers une multiplicité des points de vue.
A partir de ces idées, Kazimir Malévicthen Russie va encore plus loin délaissant toute figuration : restent les formes géométriques, l'art devient abstrait pour mieux exprimer l'infini du cosmos et tenter de se rapprocher d'un « être suprême » : naît ainsi le mouvement suprématiste.
Les couleurs sont primaires : le blanc est censé représenter cet infini dans les tableaux du peintre, le rouge l'énergie révolutionnaire...etc En 1917, après la révolution russe qui fait table rase du passé et la guerre de 14-18 qui remet en cause la civilisation, Malévicth remet définitivement en question les règles de la peinture en Europe avec son « Carré Blanc sur Fond Blanc »(l'an zéro de la peinture moderne ?).
Les constructivistes vont reprendre l'idée des formes simples géométriques, mais pour eux -24 peintres de Moscou se nomment «constructivistes » à partir de 1921-l'art appliqué est la forme la plus parfaite d'art : Sculptures, édifices, affiches, costumes sont valorisés.
El Lissitzky (1890-1941)
Architecte de formation, il adhère très tôt durant ses voyages en Europe, au cubisme. En 1917, il fait parti des avant-gardes russes et dessine le drapeau soviétique. En 1919, invité par Chagall à enseigner à l'Institut pour l'art nouveau (école créée par Marc Chagall) à Vitebsk, il y rencontre Kasimir Malevitch, adhère au Suprématisme et crée son premier « Proun » (acronyme de « Projet pour l’affirmation du Nouveau » en russe), tableaux qu'il appelle aussi « stations de correspondance entre la peinture et l'architecture » et qui s'inscrit dans un projet artistique inédit qu'il définit par ces mots : « De reproducteur, l'artiste est devenu constructeur d'un nouvel univers d'objets ». C'est également à Vitebsk qu'il crée la célèbre affiche de propagande « Battez les Blancs avec le triangle rouge ». En 1920, il se rapproche des Constructivistes. Jusqu'à sa mort il servira le pouvoir en Russie soviétique (c'est lui qui conçoit par exemple le pavillon de Russie de l’exposition universelle de Paris en 1937).
ABATTONS LES BLANCS AVEC LE COIN ROUGE (1919-1920)
Traduction : клином : cale, coin / красным : rouge / белых : blanc

QUESTION 1: En vous appuyant sur la carte page 37 du manuel. Faire une première analyse de l'affiche. Que représente le triangle rouge ? Pourquoi cette couleur ? Que représente le rond blanc ? Pourquoi cette couleur ?
QUESTION 2: A quoi voit-on que, les rouges sont entrain de l'emporter sur les blancs ?
QUESTION 3 : Trouvez une autre affiche montrant l'influence, en Russie soviétique, de l’œuvre de Lissitzky, dans le chapitre 3 du manuel (de la page 46 à la page 61)
QUESTION 4 : Cherchez ce que l'on trouve au sommet du pavillon russe de l'exposition universel de 1937, conçut par Lissitzky.
Le réalisme socialiste à la française: l'exemple de Fougeron, l"Aragon de la peinture"...et un peu plus.
I. André Fougeron (1913-1998)
Né à Paris dans une famille modeste et ouvrière, André Fougeron est un autodidacte ( apprenti dessinateur puis ouvrier métallurgiste) qui connaît un brillant début de carrière alors qu'il peint à la manière de Picasso ou Léger. Cependant il est choqué par les horreurs de la Guerre d’Espagne et en adhérant au Parti Communiste en 1939, il choisit définitivement de peindre en dehors du système du marché des œuvres d'art, préférant rester fidèle à ses convictions quitte à gagner moins d'argent.
A la fin de la deuxième guerre mondiale, après un long voyage en Italie où il dit avoir pris conscience de la proximité entre la peinture et la politique, il commence à peindre en suivant la ligne imposée par le PCF. (Parti communiste français)
II. Le nouveau réalisme français, « dans chaque dessin figuratif de Fougeron se joue le sort du monde » (Aragon)
En 1934, Andreï Jdanov avait défini au premier congrès des écrivains soviétiques les bases théoriques du réalisme socialiste, l'art officiel de l'URSS. Le réalisme se voulait : socialiste dans son contenu ( c'est à dire qu'il allait parler avant tout des ouvriers et du prolétariat), national dans sa forme (cet art devait respecter le style académique du pays) et efficace au service de la lutte des classes (l'art est une arme qui doit servir le communisme).
S'inspirant de ces préceptes, le PCF lance en 1948 la bataille du réalisme contre « l'art pour l'art » (l'art ne doit pas être inutile). Ce nouveau réalisme s'inspire du réalisme du XIXe siècle de Courbet ou David. Fougeron peint alors pour le Salon d'Automne de 1948, « Les parisiennes au marché ».
Le style figuratif ( on est loin des reconstructions d'un Picasso
) et le sujet populaire en font un tableau typique de ce nouveau réalisme, dont le but est, dans un esprit de résistance anticapitaliste et national de célébrer la tradition, le patrimoine la nation française contre les accords Blum-Byrnes (contre une aide financière les États-Unis obti
ennent de gros avantages pour diffuser leurs films en France).
Pourtant Fougeron ne manque pas d'audace dans la manière de peindre ce tableau. Relevons la main hypertrophiée ( bien trop grosse) de la commerçante, la gamme colorée « bonbonesque » et surtout des visées polyfocales (jeux de points de vues multiples comme un photomontage). Cette dernière manière de peindre sera une des signatures du style-Fougeron que l'on retrouvera dans « la civilisation atlantique ».
En 1950 Fougeron travaillera durant 3 ans à une exposition « le pays des mines », commande du parti communiste pour la fédération nationale des mineurs du Nord et du Pas de Calais, dont le Sécrétaire Auguste Lecoeur protège Fougeron.
III. La civilisation atlantique, une « culture française de la guerre froide »(P. Ory)
Fougeron va pourtant être discrédité au sein même du PCF, et cela va se jouer en deux actes.
En mars 1953 meurt Staline. A cette occasion Aragon demande à Picasso (qui sans être un peintre du Parti comme Fougeron, était considéré comme un « compagnon de route » par le PCF) un portrait du dictateur, pour illustrer la première page de la revue « le lettres françaises ». Ce portrait fait scandale car il était très inhabituel : en présentant Staline jeune il le rend plus réel et en même temps, en exécutant ce portait au fusain en simplifiant les traits il le caricature. Fougeron condamne cette représentation, mais avouera plus tard que cette condamnation était « ce qu'il avait écrit de plus bête »...
Au salon d'Automne de 1953, Fougeron présente 2 toiles : « Les paysans français défendant leur terre » et « la civilisation atlantique ».
La seconde est une toile aussi avant-gardiste que le portrait de Picasso qu'il venait de critiquer...L’œuvre est très mal accueillie. Certains reprochent à Fougeron de trop se calquer sur les modèles venus de l'URSS, et la plupart des communistes (surtout Aragon ) lui en veulent d'avoir abandonner son style figuratif pour peindre de manière trop allégorique. Fidèle à son parti Fougeron regrettera officiellement cette toile, affirmant ne pouvoir vivre en désaccord avec son parti « à qui je dois tout et qui est aussi nécessaire pour moi que l'air et l'eau pour vivre ».
En 1966, le PCF abandonne le nouveau réalisme et même l'idée d'influencer la création artistique. Cependant, à la suite des mésaventures de ce tableau Fougeron cesse de peindre jusque dans les années 70.
IV.L’œuvre.
La civilisation est une œuvre communiste de propagande manichéenne ( d'un coté les bons de l'autre les méchants) est donc pro-soviétique ( pour le bloc de l'est). Pourtant elle reste étonnamment, moderne et prophétique notamment dans sa dénonciation du risque écologique dont personne ne parlait en 1953....
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QUESTION : Repèrer puis classer dans le tableau ci-dessous les élèments représentés dans « civilisation atlantique » .
…..........Des usines polluantes juxtaposées à un pénitencier
…..........Deux immigrés qui couchent sous une tôle ondulée
…..........Un soldat nazi, symbolisant l’alliance du capitalisme avec le fascisme
…..........Un militaire américain alcoolique avec une revue pornographique
…..........Une chaise électrique sur un piédestal rappelant les Rosenberg
…..........Une mère dans un pays colonisé avec son nouveau-né mort
…..........Des cercueils avec des soldats tués dans les guerres coloniales
…..........Un enfant africain au travail pour survivre
…..........L’image type du patron capitaliste qui s’incline devant le soldat
…..........Un couple de vieillards misérables
…..........Une mère de famille réduite à vivre sous la tente avec ses deux enfants
…..........Une Cadillac, symbole de la société capitaliste américaine
…..........Enfants jouant dans la fumée délétère des usines
…..........Le risque atomique qui pèse sur les populations
…..........Des affiches qui vantent les guerres coloniales
…..........Des chiens vêtus de petits manteaux.
Condamnation dans un même bloc du fascisme des violences guerrières et des violences de l’État. |
Condamnation du colonialisme qui est lié selon les communistes au capitalisme. |
Dénonciation, des inégalités scandaleuses sociales et environnementales. |
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